samedi 23 novembre 2013

Réflexivité sur sa pratique - Les trois temps


Depuis 2008, les programmes d’histoire-géographie du collège précisent, pour chacune des séquences à traiter, les « connaissances » que doivent acquérir les élèves, les « démarches » à adopter et les « capacités » travaillées par les élèves. L’intitulé « démarches » peut paraître très directif et n’impliquer qu’une manière de faire. De fait, il met en évidence l’importance de la démarche inductive (le travail par étude de cas en géographie par exemple), mais il ne dit rien sur la mise en œuvre. Progressivement, j’ai mis en place un enseignement reposant sur trois temps emboîtés.

Temps 1 – la séquence

La séquence correspond à une partie du programme ou à un thème d’une partie lorsque celle-ci est subdivisée. C’est un cadre général, point de repère pour les élèves qui se déroule toujours de la même manière :
- lancement de la séquence / mise en place de la problématique à que va-t-on faire pendant cette séquence ?
- la ou les mises en activité (voir temps 2) ;
- une étape récapitulative appelée « je sais » qui liste ce qui a été appris en termes de connaissances et ce qui a été travaillé en capacités/compétences ; ce « je sais » est destiné à montrer ce qui composera l’évaluation finale ;
- l’évaluation finale qui s’appuie sur le « je sais ».

Je crois que ce temps me permet de formaliser l’alignement constructiviste de Biggs : quand je prépare ma séquence, je fixe des objectifs de contenus et de capacités, il y a le déroulement de la séquence où ces objectifs sont travaillés, je vérifie avec les élèves qu’ils sont identifiés (dans un premier temps, j’écris le « je sais » d’autorité ; progressivement, dans le courant de l’année, ce sont les élèves qui me le dictent), ils se retrouvent au cœur de l’évaluation. Selon le modèle IMAIP de Marcel Lebrun, cela répond également en partie au souci d’informer (« sur le dispositif », « sur les objectifs, les critères »), de motiver (« préciser les objectifs (contenus et méthode) », « préciser les éléments contrôlables de l’activité »). Cependant, la démarche reste incomplète et sans doute n’est-elle donc pas totalement efficace. En effet, pour l’instant, les évaluations sommatives ne listent pas nommément les connaissances et les compétences travaillées pour montrer leur degré d’acquisition (cela ne transparaît que par l’appréciation générale et le temps de correction où sont soulignés les liens entre le « je sais » et chaque exercice). Il est donc difficile pour les élèves de reconnaître ses compétences et de lister celles sur lesquelles il doit progresser (« donner des outils de reconnaissance des/de ses compétences », « souligner les connaissances et les compétences à atteindre »). La difficulté majeure repose sur la mise en place de l’outil, une grille générale listant les objectifs suffisamment précise mais restant lisible par les élèves. Pour l’instant, je travaille avec un tableur pour lister les différents critères que je mets en œuvre tout au long de l’année de 6e et dans lequel je coche les élèves qui n’ont pas atteint l’objectif, afin de travailler pour eux des exercices de remédiation.

Temps 2 – La ou les mises en activité

À l’intérieur de chaque séquence, une ou plusieurs activités sont menées. Mon objectif premier est qu’elles soient variées pour éviter de tomber dans la routine qui pourrait lasser les élèves, pour leur proposer des cheminements qui suscitent leur intérêt (motivation) et pour traiter des capacités selon un degré variable de complexité (des capacités attendues des programmes propres à établir un raisonnement historique ou géographique, à construire un regard critique et à préparer à l’exercice de la citoyenneté).

Dans tous les cas, les élèves se trouvent en situation d’activités et la séquence tend à aboutir à une production, très académique (produire un texte organisé) ou reposant sur des outils numériques. Je distingue deux grands types de situations avec deux variantes à chaque fois :
1- le cours en face à face reste le plus fréquemment mis en œuvre. Là, le cheminement est très guidé, les échanges sont essentiellement entre les élèves pris individuellement et moi. Les échanges d’élève à élève restent ponctuels, pour compléter telle réponse, signifier son désaccord avec la précédente proposition, etc. À la rigueur, il peut y avoir des phases de confrontation en binôme sur les réponses apportées au questionnement proposé. Ce cheminement peut aller dans deux sens :
1A – partir d’un questionnement simple pour aboutir à une situation complexe. Exemple : l’Orient ancien en 6e à travers la démarche d’un archéologue à Mari (site en Syrie) ; les questions guident les élèves de la découverte d’un objet (comment est-il fait ? d’où viennent les produits qui ont permis sa réalisation ? qu’est-ce que cela nous apprend sur les manières de vivre, construire, gouverner, croire, etc. ?) à la confrontation des connaissances d’autres archéologues (comparer avec d’autres sites archéologiques, d’autres objets pour mettre en place de la notion de civilisation) ; enfin, en rendre compte en faisant le commentaire sonore d’une reconstitution 3D de la ville ce qui implique de décrire et d’expliquer, de faire le lien entre ce que l’on voit et ce qui a été construit tout au long de la séquence, de l’exprimer ;
1B – partir d’une situation complexe (qui paraîtra parfois très simple aux élèves), travailler des documents pour soulever la complexité et en partie lui apporter des explications, revenir à la situation initiale pour mesurer le chemin parcouru. Exemple : pour la séquence Habiter les espaces à fortes contraintes (6e), décrire la photographie de Yann Arthus Bertrand, Mosquée dans un quartier d’El Oued (http://www.yannarthusbertrand2.org/index.php?option=com_datsogallery&Itemid=0&func=detail&catid=15&id=269&l=1366) et relever ce que l’on apprend de la manière d’habiter cet espace ; apporter des documents permettant de mieux comprendre les deux principales parties de la photographie ; revenir à la photographie pour faire le croquis et mesurer ce qui a été appris depuis le premier exercice.
2- Plus occasionnellement, la mise en activité repose sur des situations où les élèves construisent leurs connaissances à partir d’une recherche documentaire, la plupart du temps en groupes. Mon intervention permet surtout de vérifier que tous les groupes avancent et vont aboutir à la production souhaitée (tant en objectifs formels que de fond), de les aider dans une démarche précise.
2A – La recherche documentaire aboutit à la réalisation d’une production, plusieurs groupes peuvent avoir le même sujet ; le cheminement dans la séquence est uniquement parallèle. Exemple 1 : réaliser la maquette 3D de l’église visitée, faire une vidéo associant la maquette et un commentaire sonore donnant les caractéristiques architecturales et expliquant à quel style elle appartient (La place de l’Église, 5e) ; exemple 2 : chaque groupe travaille sur un monument parisien construit au XIXe siècle ou ayant connu des épisodes marquants au XIXe siècle afin de comprendre les évolutions politiques de la France (4e) ; Chaque monument permettant d’apporter tous les éléments attendus, le résultat final collectif – le guide touristique ou audioguide selon la production attendue – est une juxtaposition de travaux.
2B – La recherche documentaire de chaque groupe aboutit à la réalisation d’une production d’une partie des connaissances attendues, le tout permettant la confrontation de points de vue différents (éducation civique) ou à une synthèse par apports respectifs ; j’interviens alors pour ordonner les productions respectives (présentation orale, phrase de synthèse).

Je me suis beaucoup interrogée sur les raisons pour lesquelles je proposais tel type d’activité dans telle relation professeur/élèves, alors qu’objectivement l’un n’impose pas l’autre (exemple : recherche documentaire par élève ; l’étude du paysage d’El Oued pourrait aussi bien se faire en groupe en fournissant les documents, chaque groupe devant étudier les deux espaces ou un puis réunion des informations). Je crois que deux approches se juxtaposent :
- ce que j’ai vécu comme élève, la relation frontale pour une transmission de connaissances surtout (mais pas seulement) ; je reproduis donc ce que j’ai vécu, c’est ce qui me semble le plus proche initialement de ma représentation du métier d’enseignant et de la situation d’enseignement. Certaines contingences matérielles (disposition des tables et des chaises dans la salle, mon bureau proche du tableau) m’ont confortée dans cette position. Il n’empêche, qu’à l’heure actuelle, cela reste pour moi le moyen le plus efficace que j’ai pu trouver pour repérer des élèves en difficulté, leur proposer une aide (précision dans le questionnement, document d’aide, réduction des objectifs dans une tâche complexe pour atteindre ces objectifs plutôt que de n’aboutir à rien sur un plus grand nombre) et une remédiation.
- le passage par la recherche en histoire m’a amené à proposer des activités de recherche documentaire comme démarche la plus proche du raisonnement historique. De plus, devant la masse d’informations désormais accessible (du moins techniquement, matériellement ou immatériellement), je crois que les finalités de l’enseignement ont changé. Il ne s’agit plus seulement de faire acquérir des connaissances, des compétences générales avant la spécialisation dans un domaine précis en vue d’une professionnalisation précise, mais aussi de donner les éléments pour apprendre tout au long de sa vie (rendre efficient l’accès aux informations pour construire sa propre formation, exercer un regard critique sur les informations disponibles, les classer, les sélectionner en fonction de ses attentes, éventuellement en produire à son tour). La mise en œuvre sous forme de groupes répondait alors essentiellement à des contingences matérielles (le nombre d’ouvrages disponibles au CDI sur un sujet, le ratio nombre d’ordinateurs/nombre d’élèves pour une recherche informatique, la gestion du temps en incitant les élèves à se partager le travail à l’intérieur du groupe). Les premières expériences m’ont fait prendre conscience de la « plus-value » (effet secondaire non attendu mais bénéfique en somme) du travail en groupes : celui qui ne travaille pas se fait tancer par les autres qui ne veulent pas faire tout le travail, celui qui n’a pas compris reçoit l’aide d’un autre élève, les élèves se répartissent les activités pour être plus efficace et s’appuyer sur les compétences propres reconnues à chacun, chaque groupe avance à son rythme et, certains, plus à l’aise, peuvent approfondir, etc.

Je suis au milieu du gué. Je perçois les intérêts des deux approches, je glisse vers la seconde sans vouloir qu’elle devienne la seule. Si je ne les mets pas encore en œuvre, je parviens à trouver des alternatives sous le format groupes pour les activités proposées pour l’instant individuellement. Inversement, le principal frein à une recherche documentaire plus personnelle est son format : trop longue, trop ambitieuse peut-être, elle est trop chronophage dans sa forme actuelle pour être plus régulièrement entreprise. La difficulté repérée, elle deviendra peut-être plus facile à surmonter.
Ainsi, en ce qui concerne la mise en œuvre des séquences, je crois retrouver trois éléments du modèle IMAIP comme compris et à peu près mis en application (motiver, activer, produire) quoique certains éléments restent à renforcer (« travailler la cohérence des activités », « faire jouer l’apprentissage collaboratif », « confronter l’œuvre aux critères », « soulever les nouvelles questions » par exemple). L’interaction est le très gros point faible : « choisir les tâches adéquates », « renforcer l’interdépendance », « favoriser l’émergence de points de vue différents », etc.). De même, la granularité faible aux documents (dans informer) est une piste pour améliorer les situations d’apprentissage.

Temps 3 – Le temps long

En dernier lieu, chaque séquence apparaissait comme un îlot plus ou moins lointain du précédent et du suivant et la jonction entre elles paraissait ténue, voire inexistante pour les élèves. En somme, à leurs yeux, il n’y avait pas de continuité dans l’enseignement, tout au long de l’année, a fortiori sur l’ensemble de leur scolarité au collège (sinon l’étiquette HG ou le nom du professeur…). C’est par le support que des solutions ont été recherchées, l’objectif étant de leur montrer et qu’ils gardent trace de la progressivité de leurs apprentissages.

Dans un premier temps, les élèves avaient trois supports : le(s) cahier(s) où étaient notées les leçons, faits les exercices, etc. ; un répertoire et un classeur gardés sur l’ensemble de la scolarité au collège (le collège est de petite taille, je n’ai qu’un-e collègue qui peut à la rigueur travailler différemment, les changements d’établissement en particulier les arrivées sont rares) réunit le vocabulaire progressivement acquis et des documents progressivement remplis pour la mémorisation des repères spatiaux et temporels, pour la mise en place de méthode de lecture des documents, etc. La gestion de ces multiples supports, le poids que cela occasionnait, les oublis d’une partie m’ont fait opter dans un second temps pour la réduction du nombre de cahiers (il y en avait un pour l’histoire-géographie, un autre pour l’éducation civique), la couleur des titres permettant de constater le changement de discipline (la continuité dans le cahier permettait parfois d’afficher et d’aller chercher la complémentarité des leçons des différentes matières).Enfin, dans un troisième temps, un support unique a été retenu, le classeur, avec différents intercalaires réunissant 1- la leçon (en gardant le principe d’un intercalaire unique pour toutes les séquences et le code couleur), 2- les repères spatiaux, 3- les repères chronologiques, 4- les points de méthode, 5- les fiches Histoire des arts, 6- le vocabulaire. A l’intérieur des intercalaires 2 et suivants, des documents synthétiques sont complétés au fur et à mesure des séquences et mis en parallèle (ex. un planisphère repères physiques à mémoriser et un planisphère  repères sur le peuplement sont complétés tout au long de l’année de 6e et placer face à face). Ces documents sont conservés d’une année sur l’autre pour poursuivre leur remplissage et permettent la révision des repères du brevet d’une part, de toujours s’appuyer sur ce qui a déjà été vu au sujet d’une capacité pour continuer à la travailler, etc. Le « Je sais » (voir temps 1) permet de faire le lien entre les différents intercalaires si jamais l’information est très dispersée. Cela me paraît renforcer ce que les élèves savaient antérieurement et la possibilité de le retrouver régulièrement pour le revoir et montrer aussi que le chemin restant à parcourir pour maîtriser une capacité (ce qui me paraît rejoindre l’informer et le motiver de modèle IMAIP). Le point faible est la difficulté pour des élèves de 6e de gérer un classeur et certaines dénominations des intercalaires sont à revoir (« géo » pour les repères spatiaux induit les élèves à ranger leur leçon de géographie dans cet intercalaire, j’opterai l’année prochaine pour Carto moins ambigu). L’expérience paraît cependant concluante à ce stade.

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